mercredi, mars 28, 2007

Le grand frisson Tricot Machine

Après une apparition remarquée sur la compilation Québec émergent 2006 et un mini-album de trois pièces joliment nommé L'histoire du lièvre qui avait les oreillons parce qu'il mangeait trop de chocolat, le duo Tricot Machine vient de faire paraître un premier disque rempli de chansons aussi confortables qu'un gros chandail de laine et de textes assez puissants pour faire frissonner les coeurs les plus durs.

Philippe Papineau
Nous sommes le 25 janvier, à Montréal, au coin des rues Saint-Denis et Mont-Royal. Dans la caverne de L'Escogriffe, la foule s'entasse pour voir, sur la minuscule scène du bar, la formation Avec pas d'casque. Ils sont précédés ce soir-là par Tricot Machine. Des inconnus. Les verres s'entrechoquent, le DJ balance sa musique à fond, les rires éclatent: c'est la cacophonie habituelle des avant concerts.
Entrent alors dans le décor un garçon et une fille, mais le public n'en fait pas de cas. Les accords de piano résonnent, les deux voix se répondent et s'entremêlent. «T'as les joues rouges boréales, tes couettes noires virent au blanc comme l'asphalte, il tombe des peaux de lièvres sur Montréal.» Les bruyants se taisent un à un, se retournent vers la scène, et écoutent. «Et nos mains se repèrent, et nos coeurs s'accélèrent. On se dit rien et pourtant on se comprend, sous les premiers murmures de l'hiver.» Silence. Le temps d'une chanson, ils étaient soudain tous envoûtés.
Ce petit miracle est signé Catherine Leduc et Matthieu Beaumont, le couple qui forme Tricot Machine. Leur premier album, paru la semaine dernière, contient nombre de chansons touchantes, simples et accrocheuses. Ce sont des petites histoires qui tournent autour du thème de l'hiver. Des parcelles du quotidien des humains accompagnées par un piano à la façon Richard Desjardins à l'époque du Club Soda. «Je voulais être super, mais moi je carbure à l'ordinaire / Je voulais pas être pompiste, mais c'est comme ça, c'est un peu triste.» (Super Ordinaire)
En entrevue, Matthieu dépose sur sa table de cuisine une assiette de biscuits, chauffés au micro-ondes, avec les pépites de chocolat juste un peu fondues. «Veux-tu un Quick?» Merci, c'est gentil... Catherine, déjà assise, tente de résumer la musique de Tricot Machine: «On est quelque part entre les Beatles et Passe-Partout, rigole la chanteuse de 27 ans, de deux semaines la cadette de son partenaire. Notre côté Beatles, on le retrouve dans la facilité avec laquelle nos chansons restent dans la tête, dans le fait que ça peut plaire à un enfant de huit ans comme à une personne âgée.» Et Passe-Partout? «Sans que ce soit enfantin, il y a tout le rapport à l'enfance qui teinte l'album, ajoute-t-elle, un biscuit dans la bouche. Il y a beaucoup de trucs qui viennent de nos souvenirs, c'est précieux, et c'est ça qui est touchant. Oui, on devient des adultes, mais cette mélancolie-là reste en nous.»
Remontons un peu le fil de leur histoire. C'est en 2003, lorsqu'ils quittent Trois-Rivières pour Montréal où Matthieu doit faire une maîtrise en biologie, que les deux amoureux décident de combiner leur passion pour la musique. Lui a déjà fait partie des Petits Chanteurs de Trois-Rivières et joué plusieurs années dans un groupe punk; elle, a entre autres étudié au cégep chant et guitare jazz, avant d'aboutir dans une technique en textile, grâce à laquelle elle gagne maintenant sa vie comme couturière. Vous l'aurez deviné, elle pratique au quotidien la technique du... tricot machine.
Jusqu'en 2005, l'expérience Tricot Machine tourne un peu à vide. C'est l'entrée en scène du grand frère de Matthieu, Daniel, qui fait passer le projet à la vitesse supérieure. Rédacteur et concepteur publicitaire de métier, Daniel écrit plusieurs textes pour son petit frère, et décide même de participer au concours du Festival en chanson de Petite-Vallée, où il remporte les trois prix dans la catégorie parolier. «Matthieu a été très inspiré par les textes de Daniel, il a fait beaucoup de musique après-coup», raconte Catherine. «Moi j'ai participé à Petite-Vallée en 2006 comme compositeur», dit modestement Matthieu, avant que Catherine n'ajoute fièrement: «Il a gagné lui aussi! C'est dans la famille!»
Fin 2006, le duo-trio familial avait en poche un démo de neuf chansons, piano-voix. David Brunet, ex-Doc et les chirurgiens, qui a joué plus récemment avec Daniel Boucher et son vieil ami Yann Perreau, tombe sur cette ébauche. «Il a bien aimé ça, et c'est là que ça a démarré.»

Couple et couplets
Ce premier album éponyme paraît sur l'étiquette Grosse Boîte (Le Husky, Jean Leloup, en vinyle), la petite soeur francophone de Dare To Care Records (Malajube, Avec pas d'casque, Les Georges Leningrad... ). Les voix des deux chanteurs, attachantes par leur simplicité, sont à l'avant-plan, et le piano n'est plus le seul instrument. Trompette, batterie, violon, guitare et compagnie sont venus l'appuyer. Aussi délicatement que possible. Catherine et Matthieu ont ajouté leur nom à celui de Daniel, à titre de paroliers. «On cherchait quelque chose de simple, de vrai, qui restait organique», résume la couturière à la voix un peu gamine. Le chum, peu bavard, en rajoute. «Notre musique est plutôt "populaire", mais ça ne ressemble à rien en même temps, c'est unique. Tu ne peux pas faire un disque moyen, faut que ça soit bon, pis que ça te donne le frisson.»
Le grand frisson, le couple le vit depuis plus de quatre ans. «C'est ce qui fait que ça marche. Seuls, on pourrait pas le faire», assure Matthieu, qui tient aussi à rappeler le grand rôle que joue son frère dans l'aventure. «On a une chambre pour la musique ici, alors si en se levant le matin on veut pratiquer, ben on le fait. Tout est simplifié par le fait qu'on habite ensemble, résume Catherine. Y'a cette complicité naturelle qui est là, en plus c'est souvent des duos, on se parle... »
Pour l'instant, Tricot Machine demeure le loisir du soir auquel s'adonnent deux Trifluviens après le travail. «Moi j'ai l'impression de m'amuser, c'est comme quand je vais jouer au soccer, raconte le biologiste. C'est pas travailler à l'ordinateur à faire des graphiques scientifiques.» Catherine rajoute son mot: «On est super chanceux, on se le dit 50 fois par jour, qu'on est chanceux. Mais on est vraiment pauvre! On réussit à arriver, on ne fait pas de folie. Mais crime, on est chanceux de vivre de cette façon-là et de faire des choses qu'on aime!»

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- Tricot Machine sera en concert à Québec le 6 avril, au Rouje, et le 7 avril à Victoriaville avec Carl-Éric Hudon au Vieux-Saint-Pierre