Quelque chose en moi me disait: vas-y. Presque comme dans Fields of Dream.
Hier soir, jour de célébration provinciale, j'ai donc enfourché mon nouveau/vieux Road King noir 10 vitesses et je me suis rendu Boulevard Saint-Laurent pour découvrir l'intriguant Jandek.
Intriguant? Oui. Le bonhomme de Houston a déjà fait une cinquantaine d'albums en 35 ans de carrière, et jusqu'à récemment, il n'avait jamais donné d'entrevues, ni fait de spectacles. Ses disques sont vaguement distribués, et il faut vraiment de la volonté pour en acheter un. Moi, je n'en ai aucun, mais j'ai entendu quelques extraits durant un documentaire paru en 2004 qui tentait d'éclaircir le mystère Jandek.
C'était donc mon baptême Jandek hier à la Sala Rossa. Il jouait pour l'occasion en quatuor. Un claveciniste, un batteur-percussionniste et un musicien aux instruments à vents, pour l'occasion notre Jean Derome national (provincial? Faudrait plus de clarté, exigerait Stéphane Dion). À 19h30 pile, Jandek est entré sur scène. On nous avait prévenu avant qu'il ferait deux heures de concerts, et c'est tout.
Tout vêtu de noir, du chapeau jusqu'aux souliers de cuirs cirés, Jandek s'est assis doucement, sans dire un mot, a délicatement monté le son de sa guitare 12 cordes sans frette, puis pris son pic comme on prendrait une aiguille. Avec sa gueule d'albinos, d'une pâleur fantomatique, son regard fuyant, et sa voix grave et fausse, le grand bonhomme a fait naître en moi un véritable malaise. Cet homme existe-t-il vraiment? Pourquoi suis-je ici? Est-ce que j'aime ça?
Est-ce que j'ai aimé ça? Déchirant. Musicalement, son groupe était très solide, particulièrement Jean Derome. Sautant du saxophone au hautbois, en passant par le picolo, la flûte traversière et pleins de petits instruments obscurs, Derome était fascinant à voir aller. Il amenait une toute autre intensité à la musique de Jandek. Ce dernier grattait quelques motifs plus ou moins justes, peut-être improvisés, qu'il répétait en boucle. Le percussionniste a travaillé fort, entouré qu'il était d'instruments divers. Il a même joué de l'archet sur les cymbales! Quant au claveciniste, son apport était moins important, plus anecdotique, on perdait souvent ses notes à travers le reste de la musique. Pas grave.
Déchirant. Parce que lorsqu'il récitait plus qu'il ne chantait, la musique et la voix formait un tout trippant et planant. Mais lorsqu'il chantait, il était plus difficile de faire abstraction de ce son pas si beau. En même temps, c'est sa façon de chanter, et en payant mon billet, je le savais bien. Déchirant parce qu'il ne nous a pas adressé un mot de la soirée, pas même un regard. Parce qu'il ne semblait pas s'amuser, parce qu'il n'était pas contagieux. Déchirant parce que c'était un moment unique et inoubliable. Déchirant parce que de longues pièces essouflantes (dont une d'une trentaine de minutes) côtoyaient de beaux moments de 7 ou 8 minutes bien structurés.
Après exactement deux heures, Jandek a fermé le son de sa guitare: c'était fini. Il a déposé son instrument, il a refermé son cartable, l'a mis sous son bras, et est sorti de scène sans se retourner.
Euh, un p'tit merci mon Jandek?? Et ben non. Un fantôme, ça ne dit pas au revoir. Ça s'en va et c'est tout.
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Un petit guide :http://tisue.net/jandek/
Le documentaire: http://www.jandekoncorwood.com/
Son myspace : http://myspace.com/Jandek