Terminée, la voie de service, pour Dany Placard. Après avoir conduit sa propre barque pendant huit ans dans l’industrie musicale et après avoir autoproduit six albums à travers divers projets, le sympathique musicien passe en seconde vitesse. En s’associant avec l’étiquette de disque Indica (Xavier Caféïne, Dobacaracol, Vulgaires Machins), Placard signale à gauche et monte sur l’autoroute. Porteur d’un son plus travaillé, où les cuivres ont le beau rôle, son dernier disque, Raccourci, risque fort d’atteindre une nouvelle cible: le grand public.
La voie de service, c’était déjà très bien, on vous l’assure. Oui, ses deux premiers albums de «jeunesse» avec le groupe Placard étaient franchement brouillons. Mais les deux opus de sa formation Plywood 3/4, son dernier album solo Rang de l’église et le projet Hudon-Placard, réalisé avec Carl-Éric Hudon, sont tous à conseiller aux amateurs de folk-rock un peu poussiéreux et profondément authentique.
Tout ça était très bien, donc, mais pour l’album Raccourci, qu’il lance le mardi 25 mars, Dany Placard n’avait plus envie de se taper tout le tralala qui doit être fait en marge de l’enregistrement d’un album. Envois postaux, promotion, comptabilité et financement pesaient sur le moral du natif de Laterrière, près de Chicoutimi. Raccourci serait fait sous l’aile d’une maison de disques ou ne serait pas fait.
C’est donc avec Indica, fondée par le groupe Grimskunk en 1997, que Dany Placard s’est associé. «J’ai magasiné ma maison de disques, car si je savais que ça m’enlèverait du poids sur les épaules, j’avais peur de ne plus être libre de faire ce que je voulais musicalement, raconte le chanteur au bout du fil, quelque part sur la route. Mais avec Franz Schuller [le président de l’étiquette], ç’a cliqué tout de suite… On a eu une réunion de quinze minutes, et c’était parti!»
Pour ce deuxième album solo, Dany Placard s’est concentré sur un thème qui lui est cher depuis longtemps: la route, l’automobile. «Je m’étais imposé comme contrainte d’essayer de mettre le mot “char” ou “pick-up” [à prononcer picoppe] dans toutes les pièces», raconte le père de famille. Ici, pas de grandes envolées lyriques, mais plutôt les mots simples et vrais des gens ordinaires, avec en prime l’accent du Saguenay, certains anglicismes bien imprégnés et quelques jurons qui n’ont rien de dérangeant, au contraire.
Raccourci aborde aussi l’ennui, le mal du pays inhérent aux longs voyages sur cette même route. «J’y raconte l’histoire d’un camionneur qui fait ses “runs”, qui descend jusqu’au Mexique, en traversant les États-Unis, et qui s’ennuie de sa femme et de ses enfants, de la neige du Québec.» Et aussi, en filigrane, l’histoire parfois similaire du musicien qui part en tournée.
Ce voyage vers le Sud est non seulement raconté, mais il s’entend aussi drôlement. Plus que jamais Placard s’est inspiré de ce qu’on pourrait appeler le son de l’Arizona, et aussi de la musique de Tom Waits. On retrouve des percussions sourdes, des fracas de tôle, les rythmes secs des guitares et une voix qui vacille des graves aux aiguës. Sans oublier les cuivres, d’une grande beauté, qui tapissent l’album, et cette reprise de Long Way Home, devenue la pièce-titre de l’album.
«Au début, je voulais faire une coupure avec Tom Waits, j’étais parti dans un buzz plus planant, dans le genre de Radiohead. Mais Waits a sorti son album triple, Orphans, et je me suis bourré la face dedans cet été, et voici le résultat. Le côté planant ressortira peut-être sur le prochain!»
Où ce voyage sur la grande route mènera-t-il Dany Placard? Le chemin est encore un peu brumeux, mais celui qui a récemment réalisé les albums de quelques groupes de la relève (Le Nom, Bivouaq) aimerait bien que Raccourci lui permette une percée vers le grand public. «J’haïrais pas ça, mais j’ai pas composé les pièces avec des contraintes commerciales; on n’a pas fait de versions plus faciles pour la radio, par exemple.»
Malgré tout, Slush, son premier extrait, s’est déjà taillé une place sur les ondes de moins en moins frileuses de CKOI et pourrait bénéficier d’un effet d’entraînement médiatique, les radios commerciales n’aimant pas trop rater le bateau. Et si le musicien se plaira sûrement sur les lignes droites de l’autoroute, parions qu’il continuera d’y rouler… en «picoppe».
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Raccourci
Dany Placard
Indica / Outside
Lancement le 25 mars au Divan orange à Montréal et le 5 avril au Cercle à Québec. Rentrée montréalaise le 8 mai au Cabaret.