Quand le patron est venu nous voir pour nous offrir de couvrir le concert de Radiohead, nos genoux ont légèrement fléchi. «Pour vrai?» Ben quin. Et c'est où? Place des Arts, salle Wilfrid-Pelletier. Woua! Un concert de la bande à Thom Yorke, explorateurs sonores et musiciens hors pairs, dans une salle à l'acoustique incroyable, ça promet. D'autant plus que c'était la première fois que nous les voyions en chair et en os.
Alors pour l'occasion, samedi soir, nous avions sorti notre plus beau calepin de notes et notre stylo à bille préféré pour entendre ce concert «intime» (plus que le Centre Bell, moins que le Spectrum, disons... ). Nous étions donc fébrile d'assister au premier des deux concerts montréalais de cette tournée au cours de laquelle Radiohead rode du nouveau matériel en prévision de la sortie de son prochain album. Le groupe d'Oxford y a choisi des salles où le public pourrait apprécier pleinement sa musique. D'où le choix de la salle Wilfrid-Pelletier et non du Centre Bell.
Crayon à la main, nous étions prêt à planer, bien calé dans notre siège, à un jet de pierre de Thom Yorke, Ed O'Brien, Colin Greenwood, Jonny Greenwood et Phil Selway. Mais 14 fractions de secondes après la chute du rideau blanc qui cachait les décors du groupe, le parterre s'est levé d'un coup sec, bras en l'air, hurlant de joie, pour ne se rasseoir qu'un fois dans le métro, le spectacle terminé. Va pour le spectacle debout, alors !
Derrière un Yorke sautillant comme un possédé, un mur composé d'une dizaines d'écrans, servant à la fois d'outils d'éclairage mais aussi de surface de projection. Des grésillements radios probablement repiqués plus tôt dans la journée (on a entendu quelque chose comme : «Pour la Fête des pères, obtenez 50 % de rabais sur les... ») ont annoncé The National Anthem et son hypnotisante ligne de basse. Un son impeccable, des éclairages épileptiques, un groupe déchaîné, on savait déjà qu'on passerait un excellent moment, Radiohead et nous.
Pendant deux bonnes heures, Radiohead a fait le tour des différents styles de son répertoire, jouant de plus vieux morceaux, comme Lucky, tirée d'OK Computer, des pièces plus électroniques comme Everything in it's Right Place, entendue sur Kid A, et aussi 2+2=5, pièce de leur dernier disque Hail to the Thief, sur laquelle Yorke s'est particulièrement démené.
Les nouvelles pièces ont été légion mais ne détonnaient pas pour un sou. Sur Banger and Mash, pièce très rock, presque yéyé, Yorke a pris les commandes d'une deuxième batterie (plus tard, ils étaient même trois à frapper les tambours). Puis, assis au piano, le leader a joué 4 Minute Warning, une balade qui a fait taire la foule sans toutefois la faire asseoir. Radiohead a aussi offert Down is the New Low au public montréalais, un morceau que le groupe interprétait seulement pour la seconde fois en spectacle. Bref, après avoir entendu les sept ou huit nouveaux titres, on comprend que ce nouvel album à venir délaissera les machines à bruits pour laisser plus de place aux instruments.
C'est quelque part pendant Street Spirit (Fade Out) que nous avons abandonné le calepin et le crayon, porté par les accords arpégés et par le chant des 3000 fans en transe. Tout dans cette salle semblait alors prendre des proportions gigantesques. Les pièces, le son, les éclairages, et surtout notre plaisir.
Texte de Philippe Papineau publié dans Le Devoir du 12 juin 2006.