lundi, novembre 06, 2006

Les Ratés sympathiques

Ah! rebonjour chez lecteurs de l'autoroute de l'information, me voici de retour après près d'un mois d'absence, pour cause de vacances sur le vieux continent. Vous me pardonnerez de ne pas vous en faire le récit, ni de vous montrer les photos de voyages, de toutes façons, on prend toujours tous les mêmes photos de voyage. Bénabar disait dans Les épices du souk du Caïre: "Qu'est-ce qui nous pousse au fond à refaire à la chaîne, tous les mêmes photos qu'on a vu par centaines, des photos de monuments qui sont jamais très belles, mais c'est nous qui l'a fait c'est pas la carte postale. Les photos de voyage à l'autre bout de la terre, les mêmes paysages, des mêmes belvédères."

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Ceci étant dit, le retour de voyage ne se fit pas en douceur, puisque à peine débarqué de mon concorde privé, je devais me lancer dans les préparatifs de mon SPECTACLE, enfin du spectacle des Ratés sympathiques, qui avait lieu hier au Club Soda dans le cadre des Coup de coeur francophone. L'idée de l'évènement: inverser les rôles. Les critiques montent sur scène, et les artistes descendent dans la salle pour critiquer. Et bien votre humble serviteur a eu l'étrange idée d'accepter cette invitation.

La première difficulté, c'est de choisir une chanson, en français. UNE chanson, parmi les 45 milliards de chansons. Une qui vaut la peine d'être chantée, une qui "fitte" avec le beat scène locale, une qui se chante pas trop difficilement. Une dont on va se souvenir des paroles. Et une qui se joue pas trop mal à la guitare, car j'avais bien l'intention d'amener avec moi sous les projecteurs ma bonne vieille acoustique, protectrice et compagnone de longue date. (On m'a dit un jour que les filles passent mais que les guitares restent.) Tant qu'à chanter, aussi bien jouer. Mon choix s'est arrêté sur une chanson de Dany Placard, J'm'en r'tourne, soit dit en passant le titre de chanson qui compte le plus d'apostrophes dans l'histoire de la musique.

Il était environ 14h30 hier après-midi quand je suis monté sur la scène pour mon sound check. J'ai appelé toutes mes connaissances pour leur dire que je pouvais pas leur parler longtemps car j'avais un sound check. "Ouais, non, ouais, Linda, je dois te laisser, j'ai mon test de son pour mon concert de ce soir au Club Soda. Allez à plus chérie." Je branche ma guitare, je spotte mon X en ruban gommé blanc sur le sol, je regarde vers l'horizon. Je sors de ma poche gauche mon pic, dit également plectre ou médiator (voir Les picks, de Mononc' Serge). Le groupe derrière commence les premières notes poussièreuses de cette belle chanson de voyageur errant. Devant moi, la foule est composée de journalistes, de chaises empilées et de techniciens de son et de scène. Déjà, je vois dans leur regard qu'ils admirent mon travail sur scène, et que malgré mon expérience limitée (environ 4 secondes, soit depuis le début de l'intro), j'ai l'air d'un pro. "On n'apprend pas au vieux merle à siffler", disait Rémi, un personnage de On the Road, de Jack Kerouac. On la refait, juste pour la chance, et aussi pour ajuster quelques détails au niveau des arrangements, dont je ne suis pas satisfait. Ces musiciens de métier...

Puis l'attente, l'interminable attente. Avec les filles de la chorale de CIBL, qui chantait Tout va très bien, madame la marquise, on va boire pour oublier le trac. Mick Jagger me le disait pas plus tard qu'hier, "le trac, Phil (il m'appelle Phil), c'est toujours là, même après trente ou quarante ans de carrière." Je me contente de deux verre de vins, et puis on va manger du chinois, peut-être pas la meilleure idée, mais rien de malheureux ne s'est produit au niveau gastrique, je vous rassure. Faut toujours se méfier des rouleaux impériaux.

19h. Dans les loges. Murs jaunâtres, sofa en cuir, miroirs avec les ampoules autour, petit frigo... sans bière. J'enfile mon costume de scène, mon T-Shirt de Johnny Cash. Philippe Renaud, de La Presse, fait une crise de vedette et exige de l'alcool. Je seconde, mais ayant les mains de plus en plus moites, j'ai énormément de difficulté à ouvrir ma Boréale blonde. La Boréale est toujours plus tough à ouvrir que la Molson. Faut la mériter. À la moitié du liquide houbloné, j'ai un doute. La bière, ça fait roter. S'y fallait qu'entre deux couplets je me lâche une éructation dans le micro, ma carrière d'auteur-compositeur-interprète tant rêvée tomberait inévitablement à l'eau. Je serais condamné à ne jouer qu'à CIBL et dans les salles miteuses de la ville. Je prends donc une pause de bière.

L'angoisse du reflux gastrique n'est par contre rien par rapport à celle du blanc de mémoire. Debout dans la loge, avec tous les collègues nerveux ou névrosés, je tente de me trouver des trucs mnémotechniques. Lien avec des couleurs, des sons, des faces. Puis viens le temps de me rendre en coulisses, quelques chansons avant ce qui sera sans doute reconnu comme la plus triomphale de mes entrées sur scène, voire la seule. Je fais accorder ma guitare (je pense que c'est le plus l'fun. J'ai toujours de la misère avec ma corde de si, elle est capricieuse.), puis Monique Giroux et Calixte de Nigremont vont parler à Biz, de Loco Locass, qui a la difficile tâche de trouver des défauts à ma performance et à celle de mon collègue Sylvain Cormier, instigateur de cette soirée. Biz, fesse un peu sur Cormier, pif paf pouf. Batinse, pis moi qui passe après. Monique parle parle parle. Moi en coulisse, je suis blêmissime. Depuis trente secondes, je tente de me souvenir de la première phrase de cette satanée chanson. Je capote. Mon coeur vient d'aller prendre une pause de battement, puis comme frappé de la divine providence, me reviens en tête : "J'ai pas une cenne et je voyage..." Pfiouuuuuuuuuuuuuuuuuuuu.

Monique dit que je suis le chouchou du Devoir, ce que mon fan club -- essentiellement composé de filles, c'est normal -- s'empresse de justifier. Hurlant, criant, je dois les calmer avant ma prestation, d'un regard lointain et d'un sourire dévastateur. Biz est placé au premier rang, et je fais tout pour regarder le plus loin possible, et surtout personne. Mine de rien, y'a du monde dans un Club Soda presque plein. Jean, le chef d'orchestre, donne le signal, la guitare part, et y'a plus de retour possible. Affronter le public. Quel métier de débile mental.

Je chante du mieux que je peux, j'ai beaucoup de guitare dans le moniteur et pas beaucoup de voix, mais y parait que j'ai pas (trop) faussé. La foule, hystérique, en redemande. J'ai préparé en catimini un rappel de trois chansons, mais on me dit qu'on a pas le temps, alors je dois me résigner à quitter la scène. Sans farce, quand je suis sorti de là, j'étais entre deux feelings. 1- Jamais je ne referais ça. 2- Je peux-tu y retourner maintenant.

Alexandre Vigneault, de La Presse, qui a fait un rap de la mort avec son collègue Renaud, a eu cette bonne pensée. "C'est pas pire, on n'a même pas fait Star Académie pis on commence par le Club Soda." Ce à quoi j'ai répondu: "Ouais, maintenant on peut juste descendre".

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Merci à tous les collègues pour le support moral, merci aux super musiciens et aux techniciens présents, qui ont travaillé en pro et qui ont tout fait pour nous faire sentir en confiance. Merci au Coup de coeur francophone pour l'invitation, merci au public dans la salle qui nous a applaudit chaleureusement. Merci à Lise Raymond, Louise Beaudoin et leur équipe pour la logistique.

Mon album sort d'ici février 2007. Tournée des cégeps en mars.