mardi, novembre 07, 2006

Les Ratés sympathiques - la critique de Biz

La réussite des Ratés

Biz
Membre du groupe Loco Locass
Collaboration spéciale

Dimanche soir au Club Soda, les critiques musicaux québécois ont eu le courage d'affronter le public à visière levée, avec dignité et vulnérabilité.

Avouons-le d'emblée: une part infime et mesquine de moi espérait que les Ratés ratent complètement leur tour de chant. C'est bête et méchant, mais c'est comme ça. Peut-être qu'au fond, j'aurais aimé pouvoir venger tous les confères fauchés par les mines (de crayon, bien sûr) des critiques assassines ou, encore, régler un vieux contentieux avec Sylvain Cormier, qui écorcha jadis Loco Locass. Mais le règlement de comptes n'aura pas lieu. J'ai eu beaucoup de plaisir à la soirée des Ratés sympathiques.

Bien sûr, comme c'est souvent le cas lorsqu'on juxtapose une trentaine de numéros disparates, l'ensemble manquait de cohésion, et on aurait gagné à faire appel à un véritable metteur en scène. Composé en majorité de vieux classiques québécois et français, le répertoire proposé était convenu et prévisible: décevant pour des spécialistes en musique. Il faut ici saluer l'audace de Richard Labbé, Alain Chartrand, Éric Robitaille et Patrick Baillargeon, qui ont osé nous servir des compositions de leur cru. Une mention spéciale à Catherine Perrin, pour sa version énergique et tragique de la superbe pièce de Karkwa La Fuite. On n'étonnera personne en soulignant la pauvreté générale des larynx en présence. Incarnée par Paule-Vermot-Desroches, la seule vraie voix de la soirée était malheureusement au service de la mièvrerie poétique de Lynda Lemay. Voilà pour les bémols. Les dièses maintenant.

Les Ratés ont étonné par leur dignité et leur vulnérabilité. C'est leur plus grande réussite. Ils ont eu le courage d'affronter le public à visière levée, sans dissimuler leur trac et leurs erreurs derrière des pitreries ou une fausse nonchalance. Certains, telle la sympathique Carole Ménard, avaient un aplomb qui trahissait une réelle expérience de la scène. Quant aux deux Ratés du Devoir auxquels j'étais jumelé, ils ont fait honneur au quotidien de la rue De Bleury. C'est à Sylvain Cormier que revenait l'ingrate tâche de casser la glace. Il a donné le ton à la soirée avec une solide interprétation de Pour la musique de Georges Dor. En pleine possession de sa chanson, son plaisir était visible et contagieux. Philippe Papineau a livré une version sans fautes, quoique un peu timorée, de J'm'en retourne de Dany Placard.

Quelques coups de coeur en vrac. Richard Labbé, qui a médusé tout le monde avec une attitude frondeuse digne de feu Jean Leloup. Claude André, qui a livré le brûlot anarchiste de Renaud Où c'est que j'ai mis mon flingue avec une fougue et une hargne bien senties. Philippe Rezzonico, pour le culot d'Aznavour a cappella. Isabelle Lacasse et Valérie Guibbaud, en Call girls assumées. Luc Fortin, superbement «sensible à l'invisible» dans Ma belle amour de Rivard. Pierre Landry qui, déguisé en Elvis gonflable, a proposé un psychotronique pot-pourri de Passe-Partout. Et ma première étoile, le gambadant Philippe Renaud, en hilarant ragga man survitaminé.

Impossible de passer sous silence la phénoménale animation de notre Monique Giroux nationale et du Français Calixte de Nigrepont, un aristocrate délicieusement extravagant, un authentique maître de cérémonie, à l'esprit vif et fin, toujours au service des artistes. La complicité et la spontanéité du tandem ont généré des moments de pur génie. Chapeau! -- ou plutôt, jabot! -- Calixte et Monique.

Mon expérience de critique ne serait pas complète sans les incontournables flèches venimeuses. Je les décoche au Belge Thierry Coljon qui, en fin de soirée, a mis tout le monde mal à l'aise en étirant un mauvais numéro à propos de Soeur Sourire, la seule artiste à avoir hissé une chanson francophone au sommet du Bilboard. L'idée était bonne, mais le «Plat Pays» méritait meilleur ambassadeur. Coljon a magistralement démontré que, sur scène, on peut avoir du scotch ou de l'ego, mais pas les deux.

En grande finale collective, les Ratés (décidément mal nommés) ont entonné l'incontournable Ordinaire de Charlebois. Il ressort de tout ce beau tapage que, même s'ils évoluent dans des univers complètement différents, critiques et artistes partagent un amour inconditionnel pour la musique. Je tâcherai de m'en souvenir quand Loco Locass se fera varloper.

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Publié dans Le Devoir du mardi 7 novembre 2006. -- Merci à Pedro Ruiz du Devoir pour la photo.