Arcade Fire par-ci, Arcade Fire par-là. C'est à croire que, depuis quelques semaines, le groupe montréalais a le don d'ubiquité. Il est partout en même temps, dans tous les journaux, autant au Canada et aux États-Unis qu'en Europe. Regard sur la grande messe musicale de l'heure et sur le plus récent album de la formation, Neon Bible.
Philippe Papineau
Après avoir fait le tour du monde avec son premier disque, Funeral, et fait jaser le Tout-Montréal avec sa série de spectacles à la Fédération ukrainienne, la formation Arcade Fire lancera mardi son deuxième disque, intitulé Neon Bible, une oeuvre claire obscure de grande qualité mais dont le feu n'est pas à la hauteur des étouffants cumulo-nimbus de fumée qui flottent depuis quelques semaines.
Neon Bible, donc, comme dans «bible de néon». La référence religieuse ne surprend pas: beaucoup de choses, chez Arcade Fire, nous ramènent à la religion. Tenez, le chanteur Win Butler a déjà étudié la théologie, et on sait aussi que dans son jeune temps, sa conjointe et collègue musicienne Régine Chassagne a joué de l'orgue à l'église.
À propos d'église, grâce aux ventes de Funeral (plus d'un million d'exemplaires), le septuor a acheté une église anglicane, baptisée The Church, où il a enregistré la majorité de ce second album. Album, qui, rappelons-le, s'intitule Neon Bible. On n'en sort pas, qu'on aime ou pas. Même que les récents concerts à Montréal et à Londres ont aussi été donnés dans des églises, ici dans un ancien temple ukrainien, là-bas à la St. John's Church.
Experts en marketing
Son passage à Montréal a montré que pour propager sa bonne nouvelle, Arcade Fire a beaucoup de talent. En demeurant discret et en créant la rareté dans les billetteries, le groupe a réussi à faire parler de lui partout. Du petit blogueur anonyme jusqu'à la caméra de Radio-Canada, tout le monde voulait un morceau des chouchous de David Bowie et de U2. Et que dire des courageux qui ont fait la file le matin des concerts par un temps sibérien pour avoir un des quelques billets réservés?
Pour entendre les pièces de Neon Bible, les plus malins se sont plutôt rabattus sur Internet, où les 11 titres de l'album sont facilement disponibles. Nous-mêmes, très modestes téléchargeurs, avons péché, quelle honte. Mais soyons lucides: Arcade Fire n'est ni le premier ni le dernier groupe à laisser filer, volontairement ou non, ses chansons sur la Toile à des fins de promotion. Les anglos appellent ça du leaking et, en général, ça marche. La rumeur court et les fichiers circulent à la même vitesse que le bouche-à-oreille: très rapidement.
Le disque
D'abord, soyez rassurés: nous avons bien reçu la sainte galette (l'hostie consacrée?), dans laquelle nous croquons à belles dents depuis une semaine. Et à la base de toute cette fumée, y a-t-il un feu digne de mention? En soi, Neon Bible est un excellent album mais, à notre avis, il n'est pas à la hauteur des attentes. Précisons.
L'esthétique sonore du disque est à l'image de sa pochette: imprégnée des années 80. Les rythmes de batterie, les accompagnements vocaux, certains sons de clavier, les échos, la réalisation, tout ça donne l'impression d'écouter un disque pop de cette époque. Même le livret noir et blanc -- où les textes sont découpés comme dans une Bible, en chapitres et en versets -- rappelle ces affreuses pochettes qui ont tant souffert du changement de format vinyle-CD.
Dans cette oeuvre aux musiques et aux textes assez sombres mais parsemée de moments de soleil, comme cette nouvelle version de No Cars Go, certains titres, dont la springsteenienne Antichrist Television Blues ou encore Windowstill et Ocean Of Noise, ne nous donnent pas le frisson espéré.
Heureusement, Neon Bible compte aussi de petits bijoux. Comme Black Mirror, avec ses arrangements de cordes, ou alors Black Wave / Bad Vibrations, une pièce en deux actes. Sans oublier Intervention, enrobée d'une piste d'orgue, un vrai de vrai, celui de l'église Saint-Jean-Baptiste, à Montréal. Ce son, si riche, si lourd, vit encore quelques secondes, une fois la chanson terminée. Le même orgue revient nous frapper de plein fouet au beau milieu de My Body Is A Cage, un titre qui nous fait saisir le passage d'Arcade Fire d'une folie explosive à une folie plus intérieure.
Au bout du compte, en séparant le bon grain de l'ivraie, Neon Bible n'est pas le brasier tant attendu mais tout simplement un bon album. Dieu n'aura pas réussi de miracle. Preuve, peut-être bien, de son inexistence, comme disait l'autre.
Neon Bible
Arcade Fire
Merge Records
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Les billets pour les concerts des 12 et 13 mai à l'aréna Maurice-Richard seront en vente dès ce matin à compter de 10h sur le réseau Admission, à L'Oblique, à l'Atom Heart et chez Cheap Thrills. Prière de nous en laisser un ou deux.
Texte paru dans Le Devoir du 2 mars 2007