vendredi, mars 09, 2007

Paul Cargnello: French connexion

Les frontières, les barrières, les clans et les solitudes, le chanteur montréalais Paul Cargnello n'en a que faire. La preuve, après trois albums en anglais, le Montréalais lance cette semaine Brûler le jour, un disque aux styles musicaux variés, aux collaborations nombreuses et chanté en quasi-totalité dans la langue de Molière. Entretien.

Philippe Papineau
C'est dans un café du boulevard Saint-Laurent, frontière symbolique séparant vaguement le Montréal francophone du Montréal anglophone, que Le Devoir a rencontré Paul Cargnello. Le chanteur est anglo, le journaliste, franco. La rencontre se fait en terrain neutre, ou presque: nous sommes du côté ouest de la Main. Damn!
Rassurez-vous, il n'y a pas eu de guerre ce matin-là. Au contraire, Cargnello, souriant, a déjà déposé sur la table son inséparable chapeau - il en possède une trentaine -, comme on dépose son bouclier devant quelqu'un de son clan, celui de la musique. Pour seule arme, il a la parole, et il l'utilise sans gêne. Le musicien de 27 ans se débrouille fort bien en français malgré quelques petits accrocs et un léger accent dont on ne saurait faire de cas, bien au contraire.
«Il y a un nouveau mouvement au Québec, tout le monde essaie de briser la frontière de la langue», explique Cargnello, mentionnant le dernier disque en français de Fredric Gary Comeau et le prochain de Kevin Parent, qui sera en anglais. «Moi, j'ai voulu faire cet album pour remercier les fans francophones qui me suivent. Et je ne cherche pas juste un auditoire québécois, je vise aussi les francophones de partout au Canada.»
Si Cargnello parle anglais à la maison, c'est maintenant dans la langue de Vigneault qu'il passe le plus clair de ses journées. «Tout mon travail se fait en français. Mon booker est francophone, my label, euh, mon étiquette de disque est francophone, j'existe comme un francophone, j'ai même commencé à rêver en français!», s'amuse celui qui revient d'une tournée canadienne qui l'a mené entre autres à Winnipeg, Calgary et Vancouver.
S'il ne rêve plus seulement en anglais, Cargnello a davantage de difficultés avec l'écriture. «Pour chaque tranche de cent textes que j'écris, il n'y en a qu'un en français.» D'où la précieuse collaboration de son ami François Deschamps, avec qui il a traduit les paroles qu'il a composées pour l'occasion. «C'est difficile de changer les mots et pas le sens. En anglais, c'est plus facile d'être abstrait, avec le "you" par exemple. En français, il a fallu faire des choix. J'avais peur de perdre de la profondeur, mais je suis très heureux du résultat.»

Le mélange
Habitué à chanter uniquement ses propres chansons, Cargnello s'est fait rassembleur sur Brûler le jour. La pièce Fatigant en est un exemple parfait, elle qui réunit Marco Calliari, Tomas Jensen, Ève Cournoyer et Ivy, tous des militants de diverses origines et aux accents divers. En plus de la reprise d'un poème de Florian, Vincent Vallières et Jim Corcoran lui ont offert chacun un texte tandis que Fred Fortin est venu prêter sa voix sur Ne lis pas cette lettre. Même sa femme, Jessie, a chanté avec lui sur Une rose noire. Tout ça fait un sacré beau melting pot, on vous l'assure!
D'ailleurs, le mélange, Cargnello connaît bien. Lui-même est l'enfant d'une mère d'origine lituanienne née à Montréal et d'un père italien né en Argentine. Ce métissage culturel est peut-être à la base de la grande variété musicale proposée par le multi-instrumentiste. Du blues, il y en a, mais il y a aussi du rock, du folk et une bonne dose de reggae et de rythmes africains avec, en toile de fond, son vieux côté punk. «J'ai trouvé une façon de mélanger mes intérêts musicaux. J'aime mes albums précédents, mais je sautais un peu trop d'un genre à l'autre. Là, j'ai trouvé mon style à moi», affirme Cargnello, citant en exemple Tom Waits, Jean Leloup, Paul Simon et Joe Strummer, eux-mêmes devenus les références.
Après l'écoute de Brûler le jour, on hésite à présenter Paul Cargnello comme un militant, ce qu'on aurait fait sans gêne par le passé. «Je suis moins enragé, pas moins engagé. Sur Paulette et Henri, par exemple, il y a plusieurs références militantes: Yoko Ono, John Lennon, Simone de Beauvoir, Jean-Paul Sartre. Mais j'ai trouvé une façon de mélanger le personnel et la politique. Je pose plus de questions, je n'ai plus toutes les réponses.»

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Paru dans Le Devoir du 9 mars 2007 -- Photo couleur de Jacques Grenier Le Devoir.