mercredi, juin 06, 2007

Marc Ribot à la Sala Rossa - Hypnotique leçon de guitare

Le Festival Suoni Per Il Popolo, qui propose de la musique avant-gardiste en tout genre, est en branle depuis vendredi. Lundi soir, c'était au tour de Marc Ribot -- la plus belle prise du festival, selon les organisateurs -- de monter sur les planches de la Sala Rossa, boulevard Saint-Laurent, à Montréal.
Sans surprise, la salle était remplie à pleine capacité pour l'occasion. Abstraction faite des chaises pliantes au confort relatif, la Sala Rossa se prête bien à ce type de concert. Le son y est bon, il y a de l'ambiance et la scène y est assez haute, ce qui permettait de bien voir Ribot faire danser ses doigts sur le manche de ses guitares.

Ses guitares, oui, parce que le célèbre collaborateur de Tom Waits, Elvis Costello et John Zorn, pour ne nommer que ceux-là, était équipé de trois instruments. Une électrique, réverbération dans le tapis, une acoustique (cordes de métal) et une classique (cordes de nylon). C'est sur cette dernière que Ribot s'est le plus souvent affairé au cours des deux actes de son concert essentiellement instrumental et fortement nourri par la musique d'un film qu'il a récemment composée. Loin des délires expérimentaux appréhendés, il a livré une musique parfois déconstruite mais aux forts accents de musique classique, liant d'une seule main l'air et l'accompagnement.

Me sont alors revenus en mémoire mes cours de guitare de l'école secondaire, cette satanée Gavotte et cette fichue Bourrée en mi mineur de Bach, qui m'avaient donné tant de fil à retordre. Ribot pourrait les jouer d'une seule main en préparant son lunch. En l'entendant jouer, j'ai aussi repensé à ces airs hispaniques vaguement pratiqués, à la Segovia et Albeniz, et à ces mélodies presque flamenco à la Paco de Lucia, qui se sont entremêlées à des sections plus insolites, comme lorsque Ribot frottait ses cordes de ses doigts pour en faire sortir une sonorité intrigante.

J'étais hypnotisé par cet homme de peu de mots qui, penché sur son instrument, mêlait le neuf et le vieux, les sons doux et les sons forts, les harmonies et les dissonances. J'étais hypnotisé par la répétition de certains motifs, par la respiration du virtuose qu'on entendait grâce à un de ces micros qui permettent de capter un gargouillis d'estomac à deux mètres. Pour le gratteux de salon que je suis, c'était toute une leçon. Je pense que je vais rappeler mon vieux professeur...

Philippe Papineau
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Paru dans Le Devoir du 6 juin 2007. - Photo © FMM/ Mário Pires 2005