Drôle de bête que ce Gonzales. Après avoir versé un moment dans la musique électronique et après avoir livré en 2004 un album de piano à la Érik Satie, le Canadien exilé à Paris lancera au cours des prochaines semaines Soft Power, où il célèbre à gros traits le son très seventies qu'il avait déjà expérimenté avec la chanteuse Feist. Surprenant.
Ici, le Torontois Gonzales -- de son véritable nom Jason Beck -- n'est pas très bien connu du grand public, malgré un curriculum vitae chargé. Côté carrière solo, Soft Power est son sixième album en huit ans. Mais Gonzales a aussi beaucoup travaillé avec les autres depuis quelques années. Avec Feist, comme nous le disions, et avec Jane Birkin, Philippe Katerine et Teki Latex (TTC), pour ne nommer que ceux-là. Sans oublier son travail avec Renaud Letang, réalisateur-vedette de l'Hexagone (Abd al-Malik, Manu Chao, Alain Souchon, etc.).
Toute cette besogne avec les autres est même devenue l'inspiration principale de Soft Power. D'autant plus que s'il était auparavant habitué au travail en solitaire, cette fois-ci, il s'est lui-même prêté au jeu du travail d'équipe en studio. Un jeu douloureux, semble-t-il. «Je me suis dit qu'il fallait que je voie ce que j'avais à gagner en laissant les gens entrer dans mon processus», explique Gonzales au bout du fil, dans un excellent français. «J'ai observé, en réalisant des albums pour les autres, à quel point ils me laissaient m'investir dans leur projet. J'admire leur capacité à inclure les autres, à supprimer leur propre ego.»
D'ABC aux Guess Who
Soft Power va très certainement déstabiliser ceux qui ont connu Gonzales avec son Solo Piano, qui tentait avec succès un rapprochement entre la musique classique et des schèmes pop. Ici, Slow Down fait penser à These Eyes des Guess Who, saxophone sirupeux en prime. Working Together n'est pas si loin d'ABC, des Jackson Five. Unrequited Love pourrait être tirée d'un vieil album de Santana. Et que dire de Let's Ride et ses cordes disco, que les Bee Gees apprécieraient très certainement? Bref, Soft Power est ce qu'on pourrait appeler un sacré virage.
En insistant un peu, Gonzales explique qu'il refuse l'étiquette kitsch tout en jouant avec elle. «Je profite un peu de la réaction à Solo Piano, où les gens m'ont accordé un certain respect musical, pour défier l'idée du bon goût et du mauvais goût.» C'est donc un peu de la parodie, de la rigolade? «Sur scène et dans les clips, l'humour commence à prendre beaucoup plus d'importance, mais dans le sens d'humour juif -- il l'est --, d'humour qui parle de mes propres défauts, qui parle de mes propres faiblesses, ce qui fait différent de la parodie, qui parle de la faiblesse des autres. Pour moi, l'humour, c'est quelque chose de lié au danger, c'est quelque chose de sérieux.»
Cela étant, Gonzales explique beaucoup plus son virage sonore par son arrivée dans «l'élite du showbiz français, cette espèce de "paristocratie"» dans laquelle il baigne depuis environ trois ans. «C'est la situation qui a déterminé la forme, martèle le pianiste à quelques reprises au cours de la discussion. J'étais en studio, j'avais un contrat avec Universal, j'avais un budget pour tout faire de façon acoustique, pour faire venir des musiciens. C'était la même chose pour Solo Piano. J'étais seul en studio avec Jane Birkin et, dans la pièce à côté, il n'y avait qu'un petit piano, où je composais mes morceaux.»
La seule chose qui ne change pas, nous dit-il, c'est la composition. «Si j'avais refait tous les titres de mes albums en acoustique, dans ce même studio -- où on a fait l'album de Feist d'ailleurs --, on n'arriverait pas très loin du même résultat. S'il y a un son Gonzales, c'est uniquement lié par l'écriture, par un certain goût pour les harmonies qui se frottent, le mélange des modes mineur et majeur.»
Si vous hésitez encore à vous déplacer au La Tulipe le 8 mai pour voir Gonzales en concert, voici qui vous convaincra peut-être: «Si l'art crée des émotions, ça devient de l'entertainement, et j'approuve. Sinon, ça veut dire que ç'a seulement fait plaisir à celui qui l'a fait, alors je m'en fous. Ça, c'est un masturbateur, et moi, je suis là pour faire l'amour, tu vois?» À vous de voir, maintenant!
vendredi, mai 02, 2008
Gonzales: du travail d'équipe
Publié par Philippe Papineau à 9:46 a.m.
Libellés : Gonzales, La Tulipe, Soft Power