jeudi, mars 09, 2006

Bénabar, l'entrevue

Un fidèle lecteur m'a fait remarquer que je n'avais pas publié mon entrevue avec Bénabar, ce que je vous avais promis. La voici!

***
Papineau, Philippe
Paris -- Dehors, Paname grelotte. Le mercure n'est pas si bas que ça, mais, comme le chante Sanseverino, à Paris, «quand il fait -3 °C, il fait froid». Heureusement, aujourd'hui, il ne pleut pas. Un pain au chocolat dans la main, nous marchons dans le neuvième arrondissement, descendons la rue du faubourg Montmartre et croisons finalement la rue Richer. De loin, on voit déjà l'affiche de la salle de concert: «Bénabar», annoncent de gigantesques néons rouges. Plus de doute, on range le plan de la ville. C'est là, aux mythiques Folies Bergères, que nous avons rendez-vous avec le chanteur Bénabar, un des piliers actuels de la chanson à texte de l'Hexagone.

À 37 ans, Bénabar connaît pas mal de succès dans la francophonie européenne. Son premier disque est deux fois doré, son deuxième s'est écoulé à 500 000 copies et son plus récent, Reprise des négociations, paru en octobre, a déjà atteint l'honorable plateau des 300 000 copies. À ce jour, le Québec, lui, n'a eu droit qu'à un opus, Couche-tard et lève-tôt, un hybride des meilleurs éléments de ses deux premiers albums. La situation est sur le point de changer, puisque Bénabar lance dès mardi son dernier-né dans la Belle Province. Jusque-là, l'ancien réalisateur de courts métrages s'y est fait discret, mais il a une bonne raison: il a une peur bleue de l'avion. «J'aurais pu y aller dix fois si je n'avais pas ce problème», dit-il pour s'excuser.

Dans une minuscule loge des Folies Bergères, Bénabar, de son vrai nom Bruno Nicolini, avoue d'emblée qu'il n'aime pas trop l'étiquette «nouvelle chanson française» qu'on lui a accolée depuis le début de sa carrière. «Même si ça m'a beaucoup aidé, c'est très artificiel, je ne peux pas prétendre à ce titre. Je n'ai ni l'impression, ni la prétention de faire quelque chose de nouveau. Je suis bien conscient de faire de la chanson très traditionnelle, très classique, de la chanson narrative, presque académique. Là où il y a vraiment une nouvelle façon d'aborder la musique, c'est dans le rap. Là il y a quelque chose qui n'existait pas il y a 50 ans... »

Les classiques qui ont inspiré Bénabar ne font pas trop dans le rap: Renaud, Brassens, Souchon, Higelin, Bashung... Pas vraiment des «deux de pique» de la chanson. «J'estime avoir une personnalité, mais il n'y a pas de génération spontanée. Si tu fais de la chanson en français, tu ne peux pas nier Brel, Renaud ou Brassens, explique Bénabar, qui a déjà collaboré avec Juliette Gréco et Henri Salvador. Si tu fais du cinéma, tu ne peux pas faire comme si Truffaut et Orson Wells n'avaient pas existé!»

Le nouveau père de famille n'a pas encore l'aura de ces monstres, mais il en a tout de même une part du génie: sur Reprise des négociations, l'humble chanteur montre de nouveau qu'il sait écrire des chansons. La plupart du temps de petites scénettes de tous les jours, un peu tristes, loin des grandes envolées lyriques, mais qui frappent dans le mille. La plus récente à son palmarès, Le Dîner, relate l'histoire d'un gars qui ne veut pas aller manger chez des amis et qui tente de convaincre sa copine de rester à la maison. «Une bonne chanson, c'est un truc où on te raconte quelque chose d'intéressant, où tu ressens les choses et où en plus tu as passé un bon moment musical. Je prends souvent pour exemple Je m'voyais déjà d'Aznavour, qui pour moi est une espèce de mètre étalon. Tout ce que tu apprends sur la vie de ce mec-là en trois minutes!»

Bénabar concède ne pas être un grand chanteur, ni un grand musicien, même qu'il en fait très peu de cas. «Mes modèles sont comme ça, d'ailleurs. Ce qui compte, c'est la chanson elle-même, puis la façon dont tu la portes. Renaud n'est pas un grand chanteur, il ne va pas atteindre des contre-ut et faire des trucs de voix insensés, et pourtant il nous tire les larmes...»

Sauce variétés
Pour Reprise des négociations, Bénabar a voulu sortir un peu de sa routine musicale. «Les albums d'avant étaient très similaires, et c'était correct ainsi, mais je voulais passer à quelque chose de plus assumé, notamment sur le plan musical. J'ai voulu m'autoriser certaines façons de concevoir la musique, la production, de façon beaucoup plus "variétés".» La pièce Maritie et Gilbert Carpentier, ce couple qui animait une émission de télé musicale, en est un bon exemple. «C'est un souvenir d'enfance, celui d'être devant la télé avec mes parents. Cette chanson, c'est un peu la madeleine de Proust, c'est le fait d'annexer les souvenirs d'odeurs, de sensations... et c'était l'occasion de rendre hommage à toute une variété des années 70 que j'adore.»

Tant sur album que sur scène, les cuivres occupent désormais une place de choix dans l'univers bénabarien. «Au grand dam de certains, j'adore les fanfares, dit-il, renouant son foulard (il fait toujours -3 degrés... ). Môme, j'ai commencé par jouer de la trompette, ç'a dû me rester. C'est quelque chose qui me touche, ce côté un peu désuet, cette ambiguïté entre la tristesse et la joie. Comme au cirque, un clown peut faire marrer les enfants autant qu'il peut les rendre tristes.»

La formule plus assumée lui semble profitable puisque, la veille de notre rencontre, la salle des Folies Bergères était pleine à craquer de centaines de Parisiens de 7 à 77 ans. Ou plutôt, de centaines de Parisiennes... Bénabar éclate de rire. «C'est pour ça qu'on devient chanteur, pour les filles et pour l'argent!» Et ça marche? «Ça va pas mal!»

***
Le Devoir était à Paris à l'invitation des Productions Phaneuf.