Son aventure anglophone Poxy pour le moment terminée, le vétéran rockeur Xavier Caféïne effectue avec Gisèle un retour en force avec un album composé dans une langue de Molière aux accents d'Orient. Entretien avec le chanteur sans patronyme.
Philippe Papineau
Assis de l'autre côté de la table, Xavier Caféïne en impose. Peut-être par ses tatouages, dont quelques caractères orientaux dont on ne saurait définir la provenance exacte, peut-être par ses bracelets de cuir et de métal. Peut-être aussi par sa carrure et la confiance qui se dégage du chanteur. S'il a l'air un peu tendu, c'est qu'il vient d'arrêter de fumer, nous rassure-t-il. Chose certaine, l'ancien leader de la formation Caféïne, dont il a hérité du nom, n'est pas un débutant et n'a pas la langue dans sa poche quant vient le temps de défendre son dernier né, Gisèle, écrit en français et enregistré presque en solitaire.
Après l'aventure Caféïne, de laquelle sont nés deux albums (Mal éduqué mon amour, 1997, et Pornstar, 2000), le trentenaire s'était lancé en 2004 dans le rock uniquement en langue anglaise en lançant le groupe Poxy. Si, à l'époque, il affirmait que l'anglais était la langue du rock, les choses semblent avoir évolué. «Ça faisait un bout que j'essayais de récrire en français, mais ça ne marchait pas. Il faut être dans un bon état d'esprit, il faut être à la bonne place, entre le coeur et le cerveau. Au départ, le français, ça sonne mal, mais ça vaut beaucoup, comme un gros diamant brut», explique Caféïne, jamais à court d'images.
Pour retrouver cet état propice à l'écriture en français, le chanteur a quitté Montréal pour sa terre natale d'Aylmer et a squatté le sous-sol parental pour peaufiner des textes dont il est très fier. «Là, je suis à mon top, j'ai l'habileté de bien mettre les choses sur papier en restant calme. Gisèle, c'est mon nouveau baromètre, explique-t-il. Et je n'ai pas envie d'essayer de battre Franz Ferdinand ou Tom Waits, juste de me battre moi-même.»
D'un empire à l'autre
Comme le rockeur traîne une réputation de noctambule, c'est son regard bien aiguisé sur le monde politique qui nous surprend à l'écoute des 15 morceaux de cet album. Principale thématique: la montée en force de l'Asie. «Demain, la face du monde aura les yeux bridés / Et l'Amérique aura une ombre jaune», chante-t-il sur Pékin Love. Sur La Fin du monde, il en remet: «Ho Chi Minh est fantôme et Lénine est mort / Retarder la Chine en braquant de l'or noir.» Il faut dire que Caféïne a voyagé à plusieurs reprises en Asie au cours des trois dernières années et qu'il s'est mis aux arts martiaux depuis près d'un an.
Réglons d'abord avec lui le cas des États-Unis, ces braqueurs d'or noir: «Si on compare l'empire qui domine maintenant avec la Chine, tout est identique, même au niveau du contrôle de l'information, de la liberté d'expression, de la peine de mort! Les Chinois ne sont pas pires, ils sont juste moins hypocrites et peut-être moins habiles pour cacher leur Tiers-Monde. Parce que les États-Unis, c'est aussi le Tiers-Monde. Des enfants de 12 ans armés qui vivent dans des boîtes de carton à Los Angeles, avec des tags, des gangs, bleus, rouges, avec des clans, c'est le Tiers-Monde pour moi, martèle Caféïne. Et c'est un pays qui est gouverné par un fasciste, un vrai, un soldat de Dieu, un autre.»
Et cette ombre jaune «bob moranesque» dont il parle, faut-il en avoir peur? «La Chine, ce n'est pas pire, ce n'est pas mieux que les États-Unis: c'est autre chose. Sauf que moi, je connecte avec les traditions chinoises, ça me touche plus, précise l'artiste. Je trouve admirable un peuple qui se relève en 100 ans d'une famine, de colons qui ont violé ton pays, qui ont volé ton riz, qui ont drogué le monde à l'opium et qui devient le compétiteur de l'empire.»
En plus des mots bien ficelés de l'auteur, il y a évidemment la musique, accrocheuse et travaillée. Pour la réalisation de l'album, Xavier Caféïne a fait appel à Glen Robinson (Voïvod, Grimskunk) ainsi qu'à Gus Van Gogh (Vulgaires Machins, The Stills), qui a mixé quatre des pièces de Gisèle. Mais en étant presque le seul musicien à bord - sauf entre autres Michel «Away» Langevin, de Voïvod -, Xavier avoue avoir eu son mot à dire sur le son. «Je voulais que cet album soit mon espèce de Trompe le monde, des Pixies. Je voulais un album qui sonne bien, qui ne se démode pas. Je voulais un son que tu peux réécouter 10 ou 15 ans plus tard et croire que ça vient de sortir. Moi, je n'aime pas la saveur du mois.»