jeudi, septembre 07, 2006

Entrevue - Le premier deuxième album des Trois Accords

Cinq gars, deux tasses d'absurdité, une bonne dose d'imagination, des mélodies assassines et une grande lampée de plaisir: voilà en quelques mots la recette qui a fait le succès inespéré du premier album des Trois Accords, Gros mammouth album turbo. Après en avoir vendu 180 000 exemplaires, il est temps pour eux de livrer leur deuxième album, Grand champion international de course. Entre plusieurs éclats de rire, Le Devoir a tenté de leur tirer les vers du nez à propos de leur «premier deuxième album».

Philippe Papineau

«Y a pas de prétention à ce qu'on fait. C'est sûr qu'on est le meilleur groupe du monde, mais on ne le dit pas dans nos tounes parce qu'on pourrait avoir l'air fendant.» Des comme celle-là, il en a fusé pendant une heure autour de la table de réunion d'Indica, la maison de disques qui produit Les Trois Accords. Cette première perle est le cru de Simon Proulx, le chanteur à la voix juvénile, mais elle pourrait facilement provenir du second chanteur, Olivier Benoît, du guitariste Alexandre Parr ou du bassiste Pierre-Luc Boisvert. Tous, y compris le batteur Charles Dubreuil, absent pendant l'entretien pour des raisons de santé, ont la repartie bien aiguisée et l'esprit façonné pour la rigolade. Ça promet.
Leur humour ne semble toutefois pas être un moyen de défense pour cacher une quelconque inquiétude devant la sortie de leur second disque, Grand champion international de course. Au contraire, leur calme surprend. Après tout, leur premier effort, Gros mammouth album turbo, a connu un incroyable succès commercial (environ 180 000 exemplaires vendus), notamment grâce aux pièces Hawaiienne et Saskatchewan, qui, les premières, ont atteint les ondes des radios grand public. La bande a même été élue groupe de l'année au gala de l'ADISQ 2005.
Mais les gars des Trois Accords assurent que leur histoire ne sera pas un feu de paille. Même qu'ils se braquent un peu quand on leur demande si la recette de l'absurde et du comique peut s'essouffler. Simon se défend le premier. «Je comprends que parce que ce qu'on fait est différent et que ç'a une énergie un peu juvénile, notre musique a quelque chose d'éphémère, concède-t-il, laissant un instant le mode blagueur de côté. Mais il y a une personnalité à notre groupe, quelque chose d'assez unique, un ton. Et je ne vois pas comment, à la longue, ça deviendrait moins pertinent. Y a plein d'artistes et de groupes qui possèdent un ton particulier et qui le conservent.» Pierre-Luc, peu bavard mais attentif, complète: «Et l'absurdité, ça évolue au fil du temps, comme n'importe quoi.»
À propos d'absurdité, Olivier Benoît entre dans la mêlée. «Du côté anglophone, y en a plein, d'absurde et de chansons aux sujets drôles. Les Flaming Lips et Weezer font ça, mais comme c'est de la musique en anglais, les gens s'en rendent moins compte. Je crois surtout que la question se pose à cause du succès. Si on avait vendu 20 000 copies du premier, le monde dirait :"ben faites-en, des albums!" La question, maintenant, c'est: "est-ce qu'on va pouvoir en vendre 200 000 à chaque fois?" On l'espère. Mais est-ce qu'on va pouvoir en faire cinq ou six comme ça? Ben ouais!»

La tablée pouffe, une quatorzième blague fuse, tout le monde rigole de nouveau, puis, quand le silence revient, Olivier reprend sa réflexion. «C'est rare que les groupes ont une très longue vie, quel que soit leur propos. Beau Dommage n'a eu longtemps que quatre albums, Harmonium en a fait trois, je ne suis pas certain que les gens se posaient la question pour eux. Je pense qu'on va toujours avoir une place tant que ça reste cohérent pour nous autres. C'est plus un questionnement interne.»

Pour l'instant, tout semble bien aller à l'interne, la formule choisie plaisant à toute la compagnie. Et l'exemple des Cowboys Fringants, qui ont obtenu un certain succès en racontant des histoires comico-absurdes avant d'adopter un virage social, voire politique, ne séduit pas vraiment Les Trois Accords. «Il me semble que ça sonnerait faux, explique Simon. La base des Trois Accords, c'est d'avoir du fun et de faire rire nos chums. Pis un moment donné, c'est devenu avoir du fun avec ben du monde. Pas plus qu'on avait des tounes engagées avant, pas plus qu'on va en avoir dans le futur.» «Y a trop d'affaires qui sont lourdes et démoralisantes tout le temps, ajoute Pierre-Luc. Nous, on essaie de faire de quoi d'aéré.»

Studio
Pour Grand champion international de course comme pour Gros mammouth, les cinq musiciens se sont retrouvés à Drummondville, au studio maison de leur ami Jérôme Boisvert, qui porte à nouveau le chapeau de réalisateur. Seules quelques pistes de batterie ont été enregistrées aux réputés Studios Piccolo, question d'élargir le spectre des sonorités de leur musique.
«Avant même d'arriver en studio, on avait sept ou huit pièces bien avancées, dont une qu'on jouait depuis plus de deux ans, alors on a eu pas mal moins de pression pour écrire», raconte Simon Proulx. Il leur a tout de même fallu plancher sur de nouvelles chansons pour compléter Grand champion. «Quand t'es complètement sorti du cadre de la création, t'as pas toujours plein d'idées tout le temps, mais une fois que tu recommences à être attentif, les tounes arrivent. Gratte-moi et Jean sont arrivées dans la dernière semaine d'enregistrement.»
Au-delà des textes des Trois Accords, il y a (heureusement) la musique, redoutablement efficace. Le loquace chanteur à la voix juvénile reste bien humble et salue le talent de ses confrères sans micro. «Ma partie mélodique est assez simple, mais Alexandre, Pierre-Luc et Charles font un gros travail pour faire des trucs originaux. C'est sûr que musicalement on se force, le but étant de faire de bonnes chansons en essayant d'aller au plus simple. On ne voudrait pas aller jouer dans les mêmes terrains que Richard Desjardins, ça fait qu'on coupe un peu.» Des bons gars, quoi...

Reste qu'à l'image de ce même Desjardins, Les Trois Accords ont su conserver leur indépendance, autant celle des idées que celle du portefeuille. «Y a pas vraiment de désavantages à produire son propre album et à être maître de sa destinée», assure Simon. «Nous, on ne fait pas de tounes cachées, explique Olivier. Parce que tous les trips qu'on pourrait se payer avec les tounes cachées, on les fait pour vrai, c'est ça, notre job. Et c'est une belle job!»

Paru dand Le Devoir du 1er septembre 2006.