mardi, septembre 05, 2006

FMEAT - De la musique à l'ombre de la mine

Pour le Montréalais, le Festival de musique émergente en Abitibi-Témiscamingue (FME) se termine comme il commence: avec la route. Cette route 117 qui s'est étirée des heures et des kilomètres durant et qui nous amenait vendredi jusqu'à Rouyn-Noranda. Mais elle en valait la peine, cette route. Au bout, l'on y trouvait ce festival, qui rassemble toute une région autour de la musique. On en revient fatigué d'avoir autant bourlingué de salle en salle, mais on en revient heureux.

Quand on met les pieds à Rouyn-Noranda, on ne peut éviter de voir les grandes cheminées «éternelles comme l'enfer» de la fonderie, qui ronronne sans cesse, jour et nuit. Et inévitablement, les chansons de Richard Desjardins nous reviennent en tête, encore plus brûlantes de vérité. Cette année, pour la quatrième édition du festival, près de 9000 entrées ont été comptabilisées dans les diverses salles de la ville, en comparaison de 7500 l'an dernier. «Il y a plus de salles cette année, et on les utilise plus», explique Sandy Boutin, président du FME. «Y'a pas un endroit où les choses ne se sont pas bien déroulées.»

En salle, nous avons dû faire des choix, la forte demande obligeant le festival à faire jouer en même temps deux séries d'artistes. Les décisions furent souvent déchirantes. Comment choisir entre le rock de Galaxie 500 et le prometteur Patrick Watson, aux ambiances plus éthérées ? Le rock l'a cette fois emporté, ce qui nous a valu de rater la performance qui a valu à Watson le Prix étoile Galaxie. Tant pis, ce soir-là Sunny Duval, Floating Widget et Galaxie 500 nous ont mis des décibels plein les oreilles dans ce charmant Petit Théâtre. C'était assez bon pour nous consoler d'avoir également raté Marc Ribot, qui en a éberlué plus d'un avec son projet plutôt déconstruit.

Notre plus belle découverte s'est faite un peu plus tard dans la nuit rouyn-norandienne, à l'El Paso. Bien sûr, il y avait Jon Spencer et son projet rockabilly nommé Heavy Trash. Mais le champion incontesté de l'intensité, c'était Bloodshot Bill, un homme-orchestre qui sévit à Montréal, mais qui n'était jamais apparu sur nos écrans radar. Seul avec sa guitare, jouant du tambour et du hi-hat avec ses deux pieds, Bloodshot Bill se démenait comme un diable dans l'eau bénite, y allant de pièces blues-rockabilly bien sales, déversant à un rythme fou ses chansons à un public enflammé par sa performance. Plusieurs personnes, autant les citoyens de l'endroit que les musiciens et les journalistes, se sont même vu refuser l'accès tellement la salle était remplie, et ce, les deux soirs où il jouait. Bloodshot Bill a été récompensé avec raison du prix Télé-Québec, qui lui permettra de venir jouer lors de l'émission Belle et Bum.

Chaque jour du festival, quatre spectacles gratuits avaient lieu simultanément dans différents petits cafés de la ville. Samedi, nous sommes tombés sur Dany Placard et ses musiciens, qui ont reçu un superbe accueil de la part du public. Même qu'à mes côtés, une blondinette haute comme trois pommes chantait par coeur toutes ses paroles en souriant. Juste là, à ce moment, on avait oublié la route, la fatigue et les petits désordres du quotidien du festivalier.

Le même soir, nous étions de retour au Petit Théâtre pour voir WD-40 défendre les nouveaux titres de leur album Saint-Panache. Sur scène, un gros panneau de simili bois, entouré d'ampoules clignotantes sur lequel il était inscrit «Saint-Panache, bienvenue et au revoir». Un effet boeuf, quoi ! Les nouvelles chansons méritent encore quelques rodages sur scène, mais quand Alex Jones a vanté et chanté sa «belle grande squaw d'Amos», la foule, gonflée de fierté, a su montrer son appréciation, tout comme nous. Ce soir-là, tard dans la nuit alors que nous étions déjà au lit, avait lieu la nuit électro, coup de coeur du président Sandy Boutin. «Des soirées comme celle-là, des raves, il n'y en a pratiquement jamais ici, et les jeunes sont venus nombreux, j'en suis particulièrement fier.»

Notre dernière journée dans la capitale nationale du cuivre fut la plus occupée. À l'Abstracto, magnifique petit café, Thomas Hellman s'amusait comme un petit fou avec le public. La veille, il croyait ne pas pouvoir aller plus haut, nous confiait-il. Eh bien, il s'est ravisé cet après-midi. Le soir, à l'ancien cinéma Paramount, nous avons découvert Réal V. Benoît, le «mineur chantant». Accompagné des musiciens de Psychocaravane, le vieux routier nous a bien impressionné par ses monologues bien sentis sur le sort du simple travailleur. Notre festival s'est conclu avec le Maï Taï Orchestra, groupe polymorphe de musique hawaïenne. Sur scène, que de bons musiciens, dont Jocelyn Tellier, Sunny Duval, Justin Allard et Rick Hayworth, pour ne nommer que ceux-là. C'était décalé à souhait, mais pas du tout agaçant; on avait même envie de chanter des Aloha avec eux. Notre seul regret : ne pas avoir osé le concours de limbo. Ça sera pour l'an prochain, pour la cinquième édition, toujours a l'ombre de la mine.

Paru dans Le Devoir du mardi 5 septembre 2006