samedi, octobre 06, 2007

Socalled, ou quand le hip-hop rencontre le klezmer

Josh Dolgin, alias Socalled, est un sacré numéro. À la table d'un café du Mile-End où Le Devoir l'a rencontré, le Montréalais d'adoption rigole, sifflote, demande au journaliste où il est né, se pose des questions existentielles, et saute de l'anglais au français en moins de temps qu'il n'en faut pour dire Ghettoblaster, le nom de son premier véritable album solo, paru plus tôt cette année.

Ce disque a fait tourner bien des têtes depuis sa parution plus tôt cette année. C'est que Socalled a eu le génie de mélanger deux univers à première vue hétérogènes, soit les rythmes du hip-hop, et les airs du klezmer, musique traditionnelle juive. Et si l'idée est bonne, le résultat est encore meilleur. Le Festival de musique émergente en Abitibi-Témiscamingue lui remettait d'ailleurs un prix cet automne, et nos cousins français, voire européens, le couvrent d'éloges à chacune de ses visites.
S'il est lui-même juif, ce n'est que tout récemment que Dolgin a découvert son patrimoine musical. En fait, c'est le hip-hop qui est arrivé en premier dans son parcours. «Au secondaire, j'ai commencé à être intéressé par la musique populaire afro-américaine. J'aimais le funk, c'est vraiment la première chose qui m'a fait complètement, euh, comment le dire... » Le trentenaire invoque l'aide du journaliste. Tripper? «Tripper, yeah! I love that word, it's awesome!» Et il repart. «Et dans les années 90, j'ai découvert le rap, entre autres avec Snoop Dogg, qui faisait justement des remix des vieilles chansons funk.»

Le natif d'Ottawa, qui joue le piano et l'accordéon, s'est mis à produire lui-même du hip-hop. «Quand j'ai commencé à collectionner les vinyles pour faire de l'échantillonnage, je suis tombé sur plein de vieilles musiques juives, des théâtres yiddish, de la musique des hassidiques, de la musique que je n'avais jamais entendue», raconte Socalled. Ce fut une révélation. «Je n'aime pas vraiment la religion, mais beaucoup la culture. Pour moi, c'est like a conflict within myself.» Yes, on voit.

Ghettoblaster, le fruit du choc des deux genres musicaux, a été enregistré un peu partout dans le monde, dans une quinzaine de studios, à New York, Paris, Ottawa, Toronto, Budapest, et on en passe. On y retrouve plusieurs invités, dont Giselle Webber (Hot Springs), le pianiste Gonzales, le clarinettiste David Krakauer, le rappeur montréalais SP et le tromboniste de James Brown, Fred Wesley, qui partagera la scène avec Socalled lors de son concert de ce soir au Cercle, à Québec, et à la Sala Rossa, demain à Montréal.

Peut-être avec sa bouille sympathique, ou parce qu'il a un sens de l'humour développé, Socalled nous fait penser à Woody Allen. Peut-être aussi parce qu'il semble en pleine remise en question, à l'instar du grand cinéaste tourmenté. Pourtant, ses disques se vendent bien, son nom circule de plus en plus. Quel est le problème? «Le truc, c'est que je n'ai jamais voulu être seulement un musicien, ce n'était pas le plan. Je veux toucher à tout, prendre des photographies, faire un film, écrire, dessiner... » Puis il lance trois éclats de rire, un rire un peu clownesque en trois notes différentes, en se prenant la tête, un rire qui se moque de lui-même. Socalled, il s'en rend bien compte, est peut-être un peu dur avec lui-même.

Dolgin, qui prépare déjà son deuxième disque, s'excuse même à plusieurs reprises de son français un peu cassé. «I'm pathetic. Est-ce que tu as des amis anglais? Je n'ai pas vraiment d'amis qui parlent français, c'est un peu tragique. Je trouve que c'est une tragédie, la ségrégation de Montréal. Ça serait bien que les anglophones parlent plus français, que les francophones parlent plus anglais.» Et la musique ne pourrait pas nous aider là-dedans? La mine de Socalled s'éclaire d'un grand sourire. «Et voilà!, s'écrie-t-il en tapant dans ses mains. Music can bring us together, it's beautiful. C'est pour ça que l'album s'appelle Ghettoblaster!»

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Paru dans Le Devoir du 5 octobre.